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Dernière mise à jour : 03.09.2025
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l'impact des origines sur la réusssite scolaire

Publié le 05/01/2017 à 21:49 par pcfob Tags : article google image vie monde bonne chez enfants france fond société travail histoire soi sommaire lecture

 

Des Turcs aux Chinois: l'impact des origines sur la réusssite scolaire
5 janvier 2017 Par Faïza Zerouala  dansmédiapart

Plusieurs études récentes mettent en évidence une sous-performance des enfants d'immigrés à l'école. Dans le détail, il apparaît que les enfants issus de l'immigration turque ont de moins bons résultats scolaires que les enfants originaires d'Asie. Longtemps, ce sujet sensible a été laissé aux marges de la recherche scientifique. Des chercheurs expliquent les raisons de ces différences et insistent sur le fait qu'être issu d'un milieu social défavorisé reste le principal facteur d'échec.

 

 

C’est bien connu, les petits d’origine asiatique excellent dans les disciplines scientifiques. Ce qui n’est pas le cas de leurs camarades d’origine turque, qui peinent à maîtriser la langue française et campent dans l’échec scolaire. Il faut aussi compter avec le jeune Africain subsaharien, qui perturbe sans cesse l’harmonie de la classe. Sans parler du petit d’ascendance maghrébine qui se désintéresse de l’école. Ces clichés tenaces sur les potentiels des enfants d’origine immigrée (13 % des élèves de 15 ans selon l'OCDE) irriguent l’imaginaire collectif. Et aussi, à leur corps défendant, parfois celui de certains enseignants. Le sujet est miné, tant il touche à des tabous. Comment prendre en compte certaines données sans essentialiser les élèves ni prêter le flanc aux préjugés racistes les plus crasses ?

 

Dans une salle de classe © Reuters Dans une salle de classe © Reuters
La question est de moins en moins éludée par les chercheurs. Cela se traduit par la parution d'études et de rapports solides scientifiquement s’intéressant à l’origine migratoire des élèves pour évaluer son impact sur l’échec scolaire. D’abord, en décembre 2015, l’enquête Trajectoires et origines de l’Institut national d’études démographiques (INED) consacre à ce sujet un chapitre intitulé « Trajectoires du primaire au supérieur des descendants d’immigrés et de natifs d’un DOM ». Les trois auteurs, Yaël Brinbaum, Laure Moguérou et Jean-Luc Primon, questionnent le système éducatif français et sa manière d’appréhender les inégalités. Leur constat est limpide. Depuis le début de leur scolarité, les enfants d’immigrés ont plus de difficultés que les autres, toutes choses égales par ailleurs. Preuve de cette inégalité, dès l’école primaire, les descendants de parents turcs sont 17 % à redoubler en cours préparatoire. Ce chiffre descend à 2 % pour les enfants d’immigrés d’Asie du Sud-Est

 

                                         

 

Le Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco) a publié fin septembre son rapport sur le système scolaire, qui a fait grand bruit, dans lequel le facteur migratoire y est abordé comme l’un des facteurs aggravant les inégalités. Plusieurs des contributions de chercheurs détaillent ce sujet (elles sont à découvrir ici). L’Insee y a également consacré une note baptisée « La réussite scolaire des enfants d’immigrés au collège est plus liée au capital culturel de leur famille qu’à leur passé migratoire » (à lire en intégralité ici), publiée fin novembre 2016. Enfin, l’enquête triennale PISA a également évoqué cette thématique dans sa dernière livraison. D’après l’OCDE, un enfant d’immigrés a quatre fois plus de risques d’avoir des difficultés scolaires qu’un natif, selon la terminologie employée.

Bien entendu, l’institution a toujours détourné le regard de ces facteurs tant elle entretient le mythe de l’école républicaine, égale pour tous, aveugle et imperméable aux différences de ceux qui la fréquentent. Mieux, elle se voit encore comme un potentiel levier de mobilité sociale pour les plus faibles.

Voilà pour la théorie. Dans la pratique, les choses sont plus complexes. Les chercheurs mettent en évidence le poids de l’origine migratoire à plusieurs niveaux dans les parcours scolaires. Avec les difficultés induites par l’absence de statistiques ethniques, interdites en France. Pour obtenir des indicateurs fiables, les sociologues se fondent sur le pays d’origine des parents, avec un biais, et non des moindres, celui de ne pas avoir de données statistiques sur ce qu’on appelle la deuxième ou troisième génération.

Mathieu Ichou, chercheur à l’Ined, a consacré certaines de ses recherches à ce sujet précis et confirme ces impasses. Mais la tendance se renverse peu à peu. « Pendant longtemps, cela a été difficile pour les sociologues de travailler sur la question migratoire et ethnique. Ce n’était pas dans l’air du temps car longtemps, la lecture marxiste et celle du modèle républicain d’assimilation français primaient. Les travaux se sont aussi beaucoup concentrés sur les enfants d’origine maghrébine et d'Europe du Sud. »Mais peu sur les enfants turcs et asiatiques. 

De son côté, Fabrice Dhume, sociologue et enseignant-chercheur à l’université Paris-Diderot, complète ce propos et constate que les réticences tombent peu à peu à mesure que les études se penchent sur la question. Une évolution imputée à un renversement de perspective : « Pour comprendre les enjeux, il faut un changement de paradigme par rapport aux explications habituelles : on a toujours pensé les choses en termes d’intégration, en présupposant que les problèmes venaient d'un défaut d'adaptation des personnes immigrées et de leurs descendants, par rapport à une société présumée stable, accueillante, non problématique… Or, cette théorie assimilationniste ne marche pas car, si les personnes s'adaptent effectivement, la société française développe des résistances très importantes, et refuse de considérer certains groupes comme légitimement citoyens. Il faut donc renverser le prisme, en se penchant sur les discriminations. »

Jean-Paul Caille, responsable des panels d’élèves, chargé d’études à la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), liée au ministère de l’éducation nationale, est l’un des auteurs de la note de l’Insee et l’un des précurseurs sur la question, qu’il dissèque depuis les années 1990 sur la base d’un panel d’élèves. Ce bon connaisseur de l’institution scolaire explique qu’il n’a jamais eu « aucun tabou » à explorer ce phénomène. Il lui a fallu articuler plusieurs données dans ce panel de 3 910 élèves suivis pour obtenir des explications plus complexes pour décortiquer les raisons de l’échec scolaire. « On a pris en compte le capital culturel, à savoir les diplômes des parents et le volume de la bibliothèque familiale. On a regardé le milieu social : l’âge, la classe mais aussi les revenus et le fait que la mère travaille ou non, s’il s’agit d’une famille recomposée, la taille de la fratrie et bien évidemment le sexe de l’enfant. Autant de caractéristiques qui vont peser dans leur parcours. »

Ces préalables posés, plusieurs données sautent aux yeux lorsqu’on épluche les différentes études. D’abord, il existe une surreprésentation des élèves sortant de l’école sans diplôme parmi les enfants d’immigrés. Les filles sont mieux loties que leurs homologues masculins. Au-delà de ce biais de genre, on découvre que les élèves issus de l’immigration asiatique surclassent nettement leurs autres camarades ayant une origine migratoire. De l’autre côté du classement, les performances scolaires des petits Turcs s’effondrent. 

« Des lunettes ethniques »

Évidemment, les chercheurs mettent en garde contre la tentation d’imputer cet échec scolaire à l’unique facteur de l’origine migratoire. Si elle a un impact, il ne faut pas oublier que les enfants issus de l’immigration ne forment pas un bloc homogène, au contraire. Mathieu Ichou préconise d’aborder ces résultats avec subtilité et prudence : « Il y a différents groupes avec leurs spécificités. Sans compter qu’il ne faut pas associer systématiquement leur scolarité à l’échec. Il est faux de dire par exemple que tous les enfants d’immigrés turcs ratent leur cursus scolaire. Il y a une moyenne et ils partent avec un désavantage scolaire principalement dû à leur origine sociale défavorisée, qui reste une donnée fondamentale lorsqu’on veut travailler sur la question. »

Fabrice Dhume ne dit pas autre chose et met en garde contre toute velléité d’interprétation raciste de ces résultats. « Ce qu'ont montré les travaux statistiques qui se répètent depuis les années 1970, c'est au fond qu'il n'y a pas d'effet en soi d'“origines culturelles” sur la réussite scolaire. Ce qui invalide évidemment les théories racistes voulant croire à une hiérarchie essentielle des “cultures”. Certains en ont déduit qu'il n'y avait pas de discrimination ethnique et que la question était seulement “sociale”. Mais d'abord, cela ne prouve en rien l'absence de discrimination, cela montre seulement que les questions ethnique et sociale sont étroitement mêlées », résume-t-il.

Dans le détail, il apparaît que les stratégies scolaires diffèrent d’un groupe à l’autre et les performances aussi. Comment expliquer le fossé entre les résultats des élèves d’origine turque et ceux des élèves d’origine asiatique ? Encore une fois, l’origine n’est pas l’unique critère à considérer. La clé de compréhension réside dans le rapport que les immigrés nourrissent à l’égard de l’école et, en cela, leur vécu antérieur influe sur leurs comportements actuels. « Les immigrés turcs en France étaient dévalorisés dans leur pays d’origine. C’est pour cela qu’en prenant en compte la profession des parents en France, cela donne seulement des indications limitées sur l'origine sociale des enfants et le capital scolaire des parents. Les immigrés d'Asie du Sud-Est en France étaient plutôt favorisés dans leur pays d’origine, mais souvent déclassés par la migration. Ils peuvent chercher à regagner le prestige social perdu par la réussite scolaire de leurs enfants », dit Mathieu Ichou.

Le chercheur insiste et précise que le rapport entretenu par la communauté turque avec le monde du travail conditionne l'approche des parents à l'égard de la scolarité de leur progéniture :« Si la majorité des Turcs en France avaient été issus de l’élite d’Istanbul, leur rapport à l’école aurait été différent. Chez les Turcs, on relève que l’insertion professionnelle ne passe pas nécessairement par les diplômes mais, dans leur marché du travail communautaire, ils décrochent souvent un travail grâce à leur réseau familial ou amical dans des entreprises où le personnel est aussi, au moins partiellement, turc. »

De l’autre côté du spectre, le sociodémographe Patrick Simon, qui a dirigé l'enquête Trajectoires et origines, formule quelques hypothèses pour interpréter la surperformance des enfants asiatiques : « Il y aurait une forte mobilisation de la famille, les mères seraient des “mères tigres”, très exigeantes envers leurs enfants et focalisées sur leur réussite scolaire, quitte à exercer une forte pression ; ce n’est pas faux, mais très exagéré. La culture confucéenne des familles jouerait aussi un rôle, mais je n’y crois pas trop. La dernière hypothèse est celle de l’effet Pygmalion. Les filles asiatiques jouissent d’une bonne image. Les enseignants ont tendance à valoriser ces comportements. »

Ces préjugés positifs infléchiraient l’attitude et l’implication des enseignants. Jean-Paul Caille abonde dans ce sens : « Nous avons montré dans nos travaux que ce sont des enfants comme les autres. Leur réussite dépend de leur capital culturel et social. Sans compter qu’ils se prennent de plein fouet les inégalités sociales. Ça ne veut pas dire non plus qu’il n’y a pas de différences entre les origines. On peut aisément imaginer que les présupposés positifs peuvent donner un coup de pouce aux enfants asiatiques. »

En revanche, poursuit Patrick Simon, d’autres écoliers doivent composer avec des idées reçues défavorables parfois relayées par leurs professeurs. « Les garçons maghrébins ou turcs sont vus comme des enfants indisciplinés. Les familles turques investissent moins dans la scolarité de leurs enfants car l’objectif de leur migration est souvent d’opérer un retour en Turquie, aucune raison donc de s’impliquer. Sauf chez ceux issus de l’élite réfugiée politique en France. Il ne faut pas laisser de côté le facteur des origines sociales dans le pays de provenance. »

Fabrice Dhume confirme les interprétations de ses confrères chercheurs. « Il y a des logiques de reproduction sociale qui s'expriment à travers les réseaux migratoires et les opportunités (ou les empêchements) générées surtout par les conditions d'installation en France. Cela joue sur le rapport à l'école et les stratégies familiales. Par exemple sur le fait que certains groupes sociaux, comme une part importante des familles venues du Portugal ou de Turquie, privilégient une scolarité courte et à visée professionnelle – avec, pour partie, des réseaux d'insertion professionnelle qui donnent sens à ces choix –, et qu'au contraire une part importante des personnes issues des anciennes colonies comme les Algériens placent beaucoup d'espoir dans le bac et dans une ascension sociale… que l'école ne leur permet souvent pas. »

Ces différentes manières d’appréhender la scolarité ne doivent pas occulter la responsabilité de l’institution scolaire dans ces résultats, insistent les chercheurs. Dans sa constitution même, l’école française demeure l’une des plus inégalitaires des pays de l’OCDE. « L’école sert aussi à faire de la sélection, normalement basée sur le mérite et le travail, mais il serait illusoire de penser qu’elle est indifférente aux différentiations sociales et ethniques », explique Patrick Simon.

Entre les murs de la salle de classe, les enseignants peuvent, par exemple, sanctionner plus fréquemment les garçons d’origine immigrée. Une discrimination que l'on peut retrouver plus tard lors de l’étape cruciale de l’orientation, explique-t-il : « Par exemple, des enseignants peuvent anticiper que les élèves de famille immigrée auront plus de difficultés dans les filières sélectives et, à résultats comparables, les orienter dans des sections moins reconnues. Ce n’est pas du racisme au sens propre, mais on peut faire ces hypothèses. Les origines sociales comptent bien entendu, mais il reste quelque chose du côté de l’origine tout court. »

Fabrice Dhume confirme ces observations et constate que malgré leur « bienveillance », les enseignants peuvent « chausser parfois des lunettes ethniques et méjuger la réalité dès lors qu'une situation semble en décalage avec les normes scolaires ».Pour illustrer ses dires, Fabrice Dhume rappelle que les statistiques démontrent que les filles d’origine maghrébine réussissent plutôt bien à l’école.Une hypothèse parcellaire selon lui, car elle occulte le rôle de l’école. Les enseignants, dit-il, pensent qu’ils doivent « protéger les filles, et peuvent avoir tendance à reporter cette projection sur les familles vues comme immigrées, avec l'idée que l'on va les “sauver” de l'emprise patriarcale (c'est un stéréotype classique du discours sur les familles vues comme musulmanes, notamment). C'est quand même une drôle de théorie de l'émancipation, qui pourrait faire penser à un néocolonialisme. »

Sans vouloir accabler les équipes éducatives, il met en lumière l’existence d’une discrimination scolaire pas forcément intentionnelle. « C’est dur pour les professionnels de le reconnaître. C’est difficile pour eux de le formuler, car ils croient souvent dans l'égalité formelle, et aussi parce que l'institution scolaire est tellement la cible de critiques qu'ils n'en peuvent plus – on peut le comprendre. Mais l'école n'a historiquement jamais été égalitaire, n'a jamais cherché à être égalitariste, et les préjugés imprègnent la société, alors comment l’école en serait-elle préservée ? »

L'origine migratoire ne doit pas occulter le facteur social

Sur le terrain, Michel, professeur des écoles dans une classe de CP/CM2 à Évry (Essonne), dans le quartier des Zonettes, en éducation prioritaire (REP), a affaire à un« public de quartier » assez hétérogène en termes de mixité culturelle. Il admet qu'il a pu avoir une attitude apparaissant rétrospectivement comme problématique. Il raconte avoir beaucoup d’élèves originaires d’Afrique du Nord et subsaharienne, un peu d’Asie, de Turquie. Les « Blancs » sont les enfants venus de la gendarmerie voisine. Il voudrait ne pas tenir compte de ces différences, mais il n'en demeure pas moins qu'il a des remarques à formuler sur les écoliers. À gros traits, il a pu constater que parmi« les Turcs, quelques-uns font de la résistance. Ils gardent la langue d’origine et la parlent à la maison. Même à l’école, ils te répondent en turc ».

Un autre professeur, Jean-Riad Kechaou, qui enseigne l'histoire au collège à Chelles (Seine-et-Marne), a pu noter que les enfants turcs sont souvent en difficulté scolaire mais qu'il ne s'agit évidemment pas d'une loi immuable. « À la maison, ils baignent dans une culture turque, parlent turc entre eux. Mais en réalité, la plus grosse difficulté c’est que les parents comprennent moins bien le système scolaire français. Ils n’en possèdent pas les codes. C’est un décalage culturel qu’on n’a pas avec les parents maghrébins par exemple. » De fait, il reconnaît sans ambages « adapter son comportement » car l’institution, dit-il, est « dans le déni » de ces différences. « Clairement, je vais être plus attentif à un élève turc qui réussit parce que notre mission n’est pas d’entretenir l’échec. Je vais l’encourager un peu plus que d'habitude. »

Une préservation linguistique confirmée par l’enquête Trajectoires et origines, dans laquelle on apprend que 45 % des jeunes de familles turques ne parlent pas le français chez eux.

Michel reconnaît que, dans le passé, cela a pu influer sur sa manière de travailler. L’enseignant fait volontiers son mea culpa : « Cela fait dix-huit ans que j’enseigne, je ne vois plus leur couleur mais avant je la voyais. J’ai pu donner au petit Asiatique plus de lignes à faire que les autres car j’étais sûr qu’il y arriverait. Je partais avec des stéréotypes. Je serais un menteur si je disais que je n’ai jamais eu de poncifs sur les origines particulières des élèves à des fins pédagogiques. Un jour, je me suis dit : “Mais pourquoi je demande au petit Asiatique d’effacer le tableau systématiquement car je sais que ce sera bien fait ?” J’en ai parlé avec un collègue, qui a milité à Convergence 84[l’un des mouvements dits « beurs », dans le prolongement de la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 – ndlr]. Il m’a conseillé de changer mon regard sur les élèves. Ce que j'ai fait. »

Les différences de traitement peuvent laisser des traces chez ceux qui les subissent. Patrick Simon l’a relevé lors de l’enquête Trajectoires et origines : « On a pu voir apparaître chez certains élèves, interrogés sur leur rapport à l’école et aux enseignants, une forme de déception ou de sentiment d’injustice qu'on peut qualifier d'expérience de discrimination. Ce ne sont pas spécifiquement des élèves ayant échoué à l'école : cette expérience est également présente chez les diplômés du supérieur. L’école reste le dernier endroit où on imagine qu’il puisse y avoir de la discrimination, car les valeurs transmises par l’institution et son personnel doivent être exemplaires et par conséquent antiracistes, universalistes, humanistes, etc. » 

Le constat de Fabrice Dhume rejoint celui de Patrick Simon. Le premier insiste : « Les différences de soutien des élèves, d'attentes et d'exigence à leur égard, d'encouragement ou de découragement, etc., tout cela a des effets considérables sur l’échec ou la réussite. »

À ses yeux, «l’institution scolaire contribue à créer des groupes ethniques même si cela n’est pas intentionnel. Les effets de ségrégation, de concentration dans les voies professionnelles à travers des processus d'orientation subie, les sorties scolaires sans diplôme, etc., tout cela génère un sentiment d'humiliation considérable, qui peut être reconverti dans des identités ethniques ou religieuses. L'ethnicité peut être une ressource pour lutter contre l'image dégradée de soi que génère le système scolaire. Mais il y a là aussi une sorte de prophétie autoréalisatrice, où à force d'être sans cesse vus comme insuffisamment français, les élèves vont se définir à partir des catégories par lesquels ils sont altérisés ».

Stéphanie, professeure à Paris, a exercé dans plusieurs classes de maternelle en REP ; elle le dit tout de go : à ses yeux, ce ne sont pas les différences culturelles qui créent un problème. Elle a enseigné dans le XIe arrondissement de Paris, dans le quartier de Belleville, où réside une forte population venue d’Asie du Sud-Est. Pour elle, leurs enfants n’étaient pas meilleurs. Elle ne goûte pas forcément ces études sociologiques, dont elle craint qu'une interprétation erronée soit stigmatisante pour les élèves. Elle explique n’avoir jamais adapté son enseignement en fonction des origines des uns et des autres. Bien sûr, elle a pu remarquer que « l’apprentissage de la langue est retardé quand la famille elle-même ne maîtrise pas bien le français et que les enfants ne sont pas dans le bain linguistique. Pour apprendre l’orthographe, il faut analyser des sons phonétiques et la graphie du phonème puis le décomposer. Les enfants d’immigrés n’entendent pas les sons dans les mots. Quand on apprend “é” ou “è”, on se réfère à des objets de la vie courante. Les enfants issus de l’immigration ne vont pas par exemple comprendre le son “é” dans “maison” car chez eux on dit depuis qu'ils sont petits “mison”. C’est illusoire de penser qu’ils ont les mêmes chances que les autres d’apprendre ».

En 1964 déjà, le démographe Paul Clerc,cité dans la contribution de Mathieu Ichou au rapport du Cnesco, expliquait ce phénomène sans que cela n’ait jamais été remis en cause par des études postérieures :« Les étrangers sont, en moyenne, légèrement défavorisés par rapport à leurs camarades français. Mais ce handicap des élèves étrangers tient essentiellement à la structure socioprofessionnelle de cette population […]. Un étranger enfant d'ouvrier n'est guère plus défavorisé qu'un élève français de même groupe social. »

Les enseignants précisent qu’il ne faut pas oublier de prendre en compte le facteur social. Les élèves issus de familles pauvres verront celles-ci moins s’investir dans leur scolarité, les urgences sociales primant sur le reste. Michel, l’enseignant de l’Essonne, raconte que plus que les origines, c’est la manière d’appréhender la culture qui conditionne la réussite.« Ceux qui surnagent sont ceux que je croise à la bibliothèque municipale, pas ceux qui passent leurs vacances à faire du roller en bas de leur bâtiment ou à jouer à la console. C’est pauvre culturellement et ça impacte leur construction. Ils sont handicapés vis-à-vis du savoir et des apprentissages. Je n’en veux pas aux parents. Ils vivent des situations difficiles, ça devient compliqué de gommer les inégalités scolaires dans ces conditions. » 

La professeure de maternelle, Stéphanie, pointe le fait que l’Éducation nationale refuse de comprendre qu’elle doit adapter ses méthodes et craint qu'en se focalisant sur les origines, on ne perde de vue ce qu'elle considère comme étant « le vrai problème », soit « la ségrégation des immigrés dans des quartiers pauvres » et les sureffectifs. Elle soupire : « Avec 20 élèves par classe, c’est impossible de compenser tous ces handicaps. »